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Ahmed Yahya, président de la FFRIM : «La Mauritanie peut devenir une grande nation de football»

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Publié le 10/03/2020 à 18:03

Le 18 novembre 2018, les Mourabitounes (équipe nationale de football de Mauritanie) décrochent une qualification historique à la coupe d’Afrique des Nations (CAN 2019). Les Mourabitounes jouent actuellement les éliminatoires de la CAN 2021 et sont bien partis pour rééditer l’exploit. En Février de la même année (2021), la Mauritanie organisera la CAN des moins de 20 ans.


Comment se prépare cette compétion ? Quelles sont les perspectives du football mauritanien ? Quel est l’Etat de ses infrastructures ? Pour réponses à ces questions et à d’autres, nous avons rencontré Ahmed Ould Yahya, président de la FFRIM depuis 2011. Il est également membre du comité exécutif de la confédération africaine de football (CAF) et de la commission des compétions de la FIFA.

Horizons : Vous êtes à la tête de la FFRIM depuis 2011. Quel bilan peut-on faire, pour le football mauritanien, en matière d’infrastructures ?

Ahmed Ould Yahya : En matière d’infrastructures, nous accusons un grand retard, comparé à beaucoup d’autres nations.  Nous avons cependant fait d’énormes progrès avec, notamment le stade Cheikha Ould Boydiya (ancien Stade Capitale de Nouakchott) qui compte 9200 places assises, l’éclairage, le tableau d’affichage, trois pelouses destinées aux entrainements de l’Académie de formation et des clubs de Nouakchott.

En général, les infrastructures sportives sont du ressort de l’Etat pour que la jeunesse en profite. C’est ainsi que le stade Olympique a été bien rénové. C’est un  effort important de la part des autorités même si nous avions souhaité son agrandissement et une pelouse naturelle. Des stades ont été construits aussi à l’intérieur du pays par l’Etat, notamment à Zouérate avec une pelouse synthétique grâce à l’appui de la FIFA. Dans d’autres capitales régionales, il existe des stades mais sans pelouses.  Il est bien d’avoir des stades. Mais sans pelouse, les terrains finissent par être abandonnés et deviennent des espaces vagues sans intérêt. Les pelouses synthétiques, grâce aux progrès techniques, ne coutent pas aussi cher qu’avant.

L’Etat a aussi entamé la construction du stade de Nouadhibou qui va accueillir une partie des matchs de la CAN des moins de 20 ans que la Mauritanie va organiser en février 2021. Ça sera un stade d’environ 11 400 places.  Nous espérons qu’il sera prêt à temps.

Horizons : Et le bilan des  équipes nationales

Ahmed Ould Yahya : A notre arrivée à la tête de la FFRIM, la Mauritanie n’avait pas d’équipes nationales en place, il n’y avait pas d’entraineurs qui percevaient  des salaires, ni joueurs professionnels. Notre pays était absent de toutes les compétitions les dernières années avant notre arrivée à la FFRIM. Nous sommes donc partis de presque zéro. C’est pourquoi, nous avons d’abord commencé par mettre en place des compétitions nationales pour  avoir des joueurs compétitifs pouvant participer au Championnat d’Afrique de nations des locaux (CHAN). Ainsi, de 2011 à ce jour, la Mauritanie s’est qualifiée deux fois à cette compétition (CHAN). Autrement dit, la Mauritanie a été deux fois parmi les 16 meilleures équipes africaines au niveau local sur 54.

En 2018, les Mourabitounes ont décroché une qualification historique pour la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Nous sommes sur la bonne voie pour rééditer cet exploit  avec déjà un match nul contre le Maroc et une victoire contre Centrafrique dans les éliminatoires.

En mars, les Mourabitoune ont une double confrontation contre le Burundi et ils se préparent en conséquence pour faire un pas de plus vers la qualification à  la CAN 2021.

Notre objectif majeur est de participer un jour à la coupe du Monde. Nous nous préparons pour la prochaine. Même si nous n’y allons pas, il y a  véritablement espoir d’une qualification à court terme avec les générations que nous préparons. Tous les experts de haut niveau qui ont visité la Mauritanie pensent que notre pays  fera partie des meilleures nations de football dans les prochaines années.

Horizons : Vous avez parlé de la double confrontation contre le Burundi dans le cadre des éliminatoires de la CAN 2021. Comment se prépare-t-elle ?

Ahmed Ould Yahya : Nous avons abattu un travail important depuis quelques années. La Mauritanie fait partie des rares nations en Afrique dont le staff technique est stable. Le sélectionneur de l’équipe nationale A est en fonction depuis cinq ans et il a un contrat de 3 ans en cours. Cette stabilité nous a permis de planifier, de travailler ensemble, de suivre de près chaque joueur de l’équipe. Nos joueurs aujourd’hui sont compétitifs. Il est important aussi de souligner que notre championnat national fait partie de ceux de la sous-région qui ont exporté le plus de joueurs à l’extérieur ces dernières années. Nos joueurs sont en Espagne, en France, au Maghreb, dans les pays arabes. C’est une preuve éloquente du sérieux et de la régularité de notre championnat national.

Horizons : Et au niveau de la préparation matérielle de la double confrontation contre le Burundi, où en êtes-vous ?

Ahmed Ould Yahya : Le soutien matériel de l’équipe nationale est du ressort de l’Etat qui nous a toujours accompagnés. Le nouveau président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, nous a signifié que ce soutien continuera et sera intensifié. Le football occupe une grande frange de notre population. C’est un vecteur d’unité nationale, de solidarité, d’entraide. Et, l’équipe nationale qui en est le porte-flambeau, est soutenue par l’Etat. Le président de la République m’a personnellement laissé entendre que le football fait partie de ses priorités et qu’il va davantage soutenir toutes les équipes nationales. Nous avons donc la garantie des hautes autorités pour le football dans son ensemble, notamment l’organisation de la CAN des moins de 20 ans par la Mauritanie.

Horizons : Les  performances des équipes nationales sont, en grande partie, le fruit de la régularité des championnats nationaux ?

Ahmed Ould Yahya : Nous avons compris très tôt la nécessité de renforcer le  championnat national.  Sur la question, notre bilan est positif même s’il y a encore un effort  à faire pour rendre ce championnat beaucoup plus attractif par le marketing et la communication. J’ai évoqué plus haut les deux qualifications au CHAN qui sont un réel baromètre du niveau des championnats locaux en Afrique.  Je peux aussi citer la participation des clubs mauritaniens au niveau africain. Cette année, le FC Nouadhibou a atteint les phases de groupes de la coupe de la CAF. C’est important à souligner si l’on fait une comparaison avec nos voisins de l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal, par exemple, n’a jamais atteint ces phases de groupes depuis  leur mise en place il y  a 15 ans.

La qualification du FC Nouadhibou à ces phases de groupes reflète donc le niveau de notre championnat national.

Le championnat Super D1 est compétitif car à un niveau inférieur, il y a plusieurs autres championnats. Il s’agit de la Super D2, la troisième division avec les phases régionales, les championnats des moins de 20 ans,  moins de 17 ans, moins de 15 ans… les championnats de Beach soccer, de futsal.

L’organisation de toutes ces compétions fait travailler assez de personnes : les arbitres, les agents de sécurité, les sapeurs-pompiers, les stadiers, les médecins… il faut donc beaucoup de moyens, d’efforts, de professionnalisme, de savoir-faire, d’équité… Nous avons encore des lacunes. Mais il y a une grande volonté de réussir et on s’améliore constamment.

Horizons : Tous ces efforts  ne doivent-ils pas être accompagnés de plus d’infrastructures qui sont du domaine de l’Etat. Ne rêvez-vous pas, à moyen terme,  d’un stade de la taille de celui de Cheikha Boydiya dans chaque capitale régionale ?

Ahmed Ould Yahya : Je rêve même de beaucoup plus. Nous voulons avoir un grand stade à Nouakchott digne de ceux des autres capitales africaines. Le Sénégal  a posé la première pierre récemment d’un stade de 50 000 places.  Notre pays, en termes de ressources économiques, a un avenir prometteur. L’Etat va continuer à faire l’effort pour renforcer les infrastructures au niveau des régions.

D’ailleurs, je dois préciser que ce n’est pas aussi cher qu’on le pense. Le Stade Cheikha Boydiya, aux normes, qui abrite les matchs de l’équipe nationale, a été construit par la FFRIM, à peu près, avec la même enveloppe, le même montant utilisé par des entreprises pour la construction des « cours avec gradins », appelées stades à l’intérieur du pays. Je dis  « cours avec gradins » car il s’agit d’endroits sans éclairage, sans écran montre,  sans pelouse… Entre le cout de ces  « cours avec gradins »  et le stade Cheikha Ould Boydiya, il y a une différence d’une dizaine de millions d’anciennes ouguiyas.

Horizons : Dans une émission sur une radio étrangère, des experts du football mondial ont récemment salué l’efficacité avec laquelle la FFRIM a géré les financements reçus de la FIFA…

Ahmed Ould Yahya : La FIFA accorde la même subvention à toutes les fédérations du monde. La différence se fait au niveau de la vision et de l’utilisation de ces subventions. La FFRIM, par sa vision, par l’entremise de sa direction technique, avec l’appui d’experts étrangers, a pu rationaliser les financements de la FIFA.

A la FFRIM, nous sommes une équipe, une famille. Du planton au président, nous travaillons ensemble pour atteindre nos objectifs. Nous avons tous la même passion, la même envie de réussir. Nous avons une académie citée en exemple en Afrique. Je dois aussi préciser que c’est une grande erreur de tout mettre à l’actif du président de la FFRIM. J’ai la chance de travailler avec une équipe qui fait un travail excellent. L’Académie est gérée par Oumar Ndiaye, ancien joueur de l’équipe nationale. C’est un homme exceptionnel qui fait un travail exceptionnel, dans la discrétion. Je voyage beaucoup, je vais chercher les financements. Je suis le capitaine du navire. Mais ce navire ne peut avancer sans tous les autres qui font l‘essentiel.

Nous faisons donc l’effort de remplir les conditions de la FIFA à la lettre pour obtenir des financements. Ainsi, pour le projet Forward de la FIFA, la FFRIM a été la première à demander la construction d’un stade. Et, beaucoup ont été étonnés quand nous avons dit que nous pouvons construire un stade aux normes avec environs un million et demi de dollars. C’était un challenge pour nous. Il a été relevé et le stade (Cheikha Boydiya) a abrité le match de la qualification historique des Mourabitoune à la CAN.

Horizons : La Mauritanie va organiser la CAN des moins de 20 ans en février 2021. Quel est l’état des préparatifs ?

Ahmed Ould Yahya : En vérité, j’ai quelques inquiétudes, notamment au sujet de la mise en place du comité de pilotage de l’organisation de cette CAN U20 qui est du ressort de l’Etat. J’en ai parlé à mon ministre de Tutelle (ministre de l’emploi et de la jeunesse) et ce comité, m’a-t-on laissé entendre, sera sur pied dans peu de temps. Nous attendons toujours. Nous somme a une année de la CAN des moins de 20 ans, il va falloir entamer les préparatifs. L’organisation de cette compétition n’est pas difficile. Il faut trois stades pour accueillir trois poules de quatre équipes. Deux de ces stades (Cheikha Ould Boydiya et stade olympique) sont opérationnels. Le stade de Nouadhibou est en construction.

Au niveau de la fédération, nous avons beaucoup d’expérience en matière d’organisation d’évènements comme le sommet exécutif de la FIFA. Nous pouvons donc assurer l’organisation de la CAN U20 mais avec l’engagement de l’Etat. Sans son soutien, nous ne pouvons pas. D’ailleurs, la CAF a conditionné les dossiers de candidature à l’organisation de la CAN U20 à la garantie et l’engagement des Etats. L’Etat mauritanien s’est engagé en ayant conscience des conditions posées. Nous sommes sûrs qu’il mettra tout en place pour relever le défi.

Horizons : Le football mauritanien, c’est aussi, timidement, le foot féminin…

Ahmed Ould Yahya : En matière de football féminin, nous avons des débuts très difficiles. C’est normal, cette dimension n’existait quasiment pas chez nous. Aujourd’hui, c’est une exigence mondiale. Des pays comme l’Iran et d’autres font du football féminin. Nous sommes un pays multiculturel, multiracial où chacun a le droit de pratiquer le sport qu’il veut. Toutes les composantes du pays participent à ce football et nous en sommes satisfaits. Nous sommes à la troisième saison du championnat féminin.

Nous avons engagé une équipe nationale féminine dans des compétitions. Elle a des débuts difficiles mais nous allons continuer.

J’insiste pour dire que les filles comme les garçons ont le droit de faire du sport. Nous appliquons les consignes de notre Etat, les consignes de la FIFA. Et, il ne nous a été dit nulle part que le football, pour les femmes, est interdit. Nous allons donc continuer pour le bien-être de nos filles. Je suis sûr qu’il y aura des jours meilleurs pour le sport féminin en Mauritanie.

Horizons : En Mauritanie, il est beaucoup question de diversité, de cohésion sociale… la FFRIM a-t-elle une expérience, un message à partager avec les mauritaniens sur ces sujets ?

Ahmed Ould Yahya : D’abord, je tiens à préciser que nous préférons maintenir le foot à l’abri de la politique. Pour nous, à la FFRIM, il n’y a que la couleur du maillot national qui compte. Nous sommes une famille, une équipe unis autour de ce maillot. Le football est un  domaine dans lequel la tricherie se paie immédiatement. Quand on choisit un joueur, un technicien, un dirigeant à la place d’un autre plus méritant, pour des raisons autres que la compétence, on le paie cash. Nous sommes en compétions face à d’autres qui choisissent les meilleurs d’entre eux. Nous devons faire la même chose pour ne pas rester à la traine. Nous sommes tenus de choisir les meilleurs qu’ils soient noirs, blancs... Nous n’avons pas le complexe de montrer la Mauritanie comme elle est. Si le technicien ou le sélectionneur juge que l’équipe doit être complètement blanche ou complétement noire, c’est sa responsabilité. Il n’appartient pas au président de la FFRIM ou quelqu’un d’autre de faire un commentaire sur ces choix. C’est la couleur du maillot qui compte. Pas autre chose.

Dans notre pays, il y a beaucoup de priorités comme la santé, l’éducation, l’unité nationale… Le  football est lié à toutes ces priorités. Il y joue un rôle. Ensuite, le football, dans le monde, est aujourd’hui une véritable industrie qui crée de l’emploi. C’est aussi une source de fierté pour les citoyens. Avec les victoires des mourabitounes, nous voyons de plus en plus de drapeaux dans les rues. Notre équipe nationale est respectée.  Si nous continuons les efforts avec le soutien de l’Etat, notre football ira très loin. Mon modèle, c’est l’Uruguay, un pays de quatre millions d’habitants, entouré de grandes nations de foot. L’Uruguay joue souvent la demi-finale de la coupe du monde. Comme ce pays, nous pouvons devenir une grande nation de football.

Horizons : Vous êtres président de la FFRIM depuis 2011. Vous êtes à votre troisième mandat. Une question que l’on pose généralement aux politiciens. Est-ce que ce troisième mandat est votre dernier à la tête du football mauritanien ?

Ahmed Ould Yahya : Je ne vais pas me hasarder à dire que c’est le dernier. Mais je précise aussi que je ne vais pas passer toute ma vie dans le football, à la FFRIM. C’était un Challenge de mettre en place une fédération fonctionnelle. La FFRIM fonctionne de manière professionnelle même s’il y a encore des améliorations à apporter. Le football prend beaucoup de mon temps. Je ne suis pas salarié. Je n’ai même pas droit aux primes au niveau de la FFRIM. J’ai une société de pêche à Nouadhibou qui fonctionne. J’ai une famille avec des enfants encore très jeunes. Je vis ma passion pour le foot au détriment de ma famille. Je réfléchis donc à comment me désengager et laisser la place a quelqu’un d’autre.

Horizons : Vous voulez vous en défaire mais on vous prête des intentions continentales. Pensez-vous être un jour candidat à la présidence de la  CAF ?

Ahmed Ould Yahya : Je l’ai entendu plusieurs fois. Même au niveau international, je suis cité comme candidat. Je précise qu’aujourd’hui, la CAF (confédération africaine de football) a un président qui n’a pas dit qu’il n’est pas candidat à sa succession. Je suis membre de son comité exécutif. Je n’ai pas l’intention de me présenter contre lui. Quant à l’avenir, je suis encore jeune et je peux l’envisager avec beaucoup d’ambitions. Mais je précise encore une fois que je ne suis pas candidat à la présidence de la CAF.
 

Propos recueillis par Khalilou Diagana
Source : Quotidien national Horizons

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